Lutter contre la fraude à l’assurance par la prévention – La tribune de l’assurance – 13 sept 2016

Le coût de la fraude est évalué à 5 à 6 % des primes encaissées en assurance de dommages et en assurances de personnes non vie.

Longtemps tabou, le sujet de la lutte contre la fraude à l’assurance sort peu à peu du bois pour donner lieu à des débats, des ouvrages, des colloques, lors desquels les organismes d’assurance (1) admettent à la fois l’existence et l’ampleur probable du phénomène. Il est intéressant de relever que les réflexions sur ce sujet sont concentrées sur la détection des cas de fraude davantage que sur la recherche et le traitement des éléments de preuve nécessaires pour renverser la présomption de bonne foi qui protège l’assuré (même fraudeur).

Il ne s’agit pas d’être naïf, chacun sait que la fraude à l’assurance est aussi ancienne que l’assurance et que l’éradication du phénomène relève de l’utopie.

Or, une politique de lutte contre la fraude à l’assurance pourrait ne pas se limiter au volet consistant à chercher à ne pas indemniser les sinistres frauduleux, et inclure un volet préventif visant à réduire le volume de projets frauduleux. L’objectif d’une telle démarche est de faire baisser le nombre de projets frauduleux en agissant le plus en amont possible avant même que l’idée de frauder ne naisse. Il ne s’agit pas d’être naïf, chacun sait que la fraude à l’assurance est aussi ancienne que l’assurance (2) et que l’éradication du phénomène relève de l’utopie.

Cependant, si l’on se réfère aux chiffres communiqués par la profession, la réduction du phénomène de 10 ou 20 % représenterait un gain significatif (3). Dès lors, on peut s’interroger sur les actions que les organismes d’assurance pourraient mettre (ou mettent) en œuvre pour agir le plus en amont possible sur les comportements frauduleux. À cet effet, les actions des organismes d’assurance pourraient être relayées par les pouvoirs publics, les organisations professionnelles et être mises en œuvre plus aisément par chacun d’entre eux.

A – Actions au niveau de la société

Force est de constater que les mécanismes économiques quotidiens que sont la banque, les emprunts, les placements et l’assurance (4) ne sont pas enseignés à tous les étudiants et qu’on n’en retrouve que dans le programme d’économie de certaines sections au lycée. Nombre d’étudiants quittent le système scolaire sans avoir été sensibilisés à ces sujets pourtant essentiels. Une meilleure compréhension de ces mécanismes permettrait sans doute aux organismes d’assurance d’avoir en face d’eux des prospects et des clients moins ignorants des principes élémentaires.
Appliquée à l’assurance, cette meilleure maîtrise des mécanismes fondamentaux tels que les principes de répartition et de capitalisation, l’inversion du cycle de production ou encore la mutualisation sensibiliserait les assurés et pourrait contribuer à les rendre plus respectueux des institutions d’assurance. Reste à convaincre le gouvernement, l’Inspection générale de l’Éducation nationale, et à trouver suffisamment d’enseignants disposant des compétences requises… Sans doute est-il moins compliqué d’agir au niveau de la profession.

B – Actions de la profession

Ayant un intérêt commun (5), les assureurs pourraient agir via des instances professionnelles, fédérations ou instance spécialisée dans la lutte contre la fraude, pour diffuser une communication générique sur le thème de la lutte contre la fraude à l’assurance. On songe à des actions comme celle de la campagne « Frauder c’est voler et celui qui fraude sera sanctionné » et « La fraude, on a tous à y perdre » conduite par la DNLF (6) en 2011. Les actions menées par la Prévention routière peuvent aussi être citées en exemple en matière de comportement au volant.
A titre de dernier exemple, on citera également la proposition émise par la fédération d’assureurs belges Assuralia consistant en un logo représentant un hibou accompagné d’un slogan destiné à transmettre un message informant les assurés de l’existence d’un dispositif de lutte contre la fraude.
De telles actions conduites à l’échelle de la profession supposent de s’entendre sur le principe et le contenu d’une communication sur ce sujet, dont on pourrait redouter des effets contre-productifs tels que de donner une mauvaise perception de l’assureur, ou de donner l’idée de frauder à celui qui n’y aurait pas pensé. Tout bien réfléchi, on n’est sans doute jamais aussi bien servi que par soi-même.

C – Actions de chacun des organismes

Ainsi, chaque organisme d’assurance peut réfléchir à sa propre politique de lutte contre la fraude comportant un volet relatif à la prévention (a priori) à côté – plutôt en amont – des actions de détection des fraudes réalisées (a posteriori). La perception d’une société d’assurance par ses prospects et assurés peut être influencée par les messages publicitaires, slogans et formule-chocs.

De tels messages peuvent être porteurs de confusion ou donner une vision erronée de ce qu’est l’assurance. Communiquer sur le fait que l’assurance est quelque chose de simple, que l’indemnisation se fait sans formalisme ni justificatif ou encore que le montant de la prime est adapté au budget de l’assuré (et non aux risques auxquels il est exposé) est au mieux inutile, mais plus probablement contre-productif, voire incitatif à la fraude.
La déception face à une promesse commerciale non tenue par la société d’assurance est génératrice de frustration, dévalorise l’image de l’assurance et contribue à créer un climat propice à la fraude.

Le discours des commerciaux et des intermédiaires est également important en ce qu’il véhicule une image de l’assureur qui peut être perçu comme arrangeant, notamment lorsqu’il accorde un geste commercial, et donne une perception du contrat, des garanties et de leurs limites bien moins précise et rigoureuse que ne le sera l’analyse du service des sinistres. La déception face à une promesse commerciale non tenue par la société d’assurance est génératrice de frustration, dévalorise l’image de l’assurance et contribue à créer un climat propice à la fraude.

L’harmonisation des discours des vendeurs et des gestionnaires passe par des actions de sensibilisation et de formation sur le thème de la lutte contre la fraude afin de faire prendre conscience à tous que lorsqu’une fraude est détectée, c’est toute l’entreprise qui est concernée, du vendeur au régleur de sinistres, en passant par le service de souscription, mais aussi la direction générale qui n’a pas initié la mise en place d’une politique transverse. La façon dont le contrat d’assurance est rédigé a également son importance, d’abord en diffusant un message évoquant l’existence de mesures de vigilance, et les répercussions de la fraude sur l’ensemble du portefeuille.

On peut ajouter par ailleurs qu’en prévision de la sanction, l’assureur peut utilement prévoir dans le contrat des clauses protectrices qui seraient particulièrement utiles face à un fraudeur retors qui n’hésiterait pas à agir en justice pour solliciter une indemnisation en tentant d’exploiter les failles du contrat.
Rédacteur d’un contrat d’adhésion, l’assureur est impardonnable de n’avoir pas convenablement aménagé la relation contractuelle et de ne pas s’être conféré une sécurité face aux comportements frauduleux.

Une démarche de prévention de la lutte contre la fraude à l’assurance sera utilement prolongée par un volet dissuasion consistant à agir postérieurement à une déclaration de sinistre

Ainsi, une démarche de prévention de la lutte contre la fraude à l’assurance sera utilement prolongée par un volet dissuasion consistant à agir postérieurement à une déclaration de sinistre en adressant un message dans un courrier accusant réception de la déclaration de sinistre, rappelant aux assurés (ou aux victimes) l’existence d’une démarche de détection de la fraude.

On peut gager que la mise en place, ou le renforcement, d’actions selon les trois axes prévention/dissuasion/sanction est à même de faire baisser le coût de la fraude. Bien entendu l’étendue des actions à mettre en place est variable selon les organismes d’assurance, leur taille, leur niveau d’exposition, leur sensibilité au phénomène, et les actions déjà mises en œuvre. Cela dépend également de leur volonté de compléter une approche micro par une approche plus globale dont les effets ne se manifesteront qu’à plus long terme.

(1) Tout au long de cet article, on entendra par organisme d’assurance ou assureur l’ensemble des organismes porteurs de risques soumis au contrôle de l’ACPR (sociétés d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance).
(2) Dès le XIVe siècle, le prêt à la grosse a généré une forme spécifique de fraude appelée baraterie consistant à prétendre faussement que le bateau assuré et (ou) la cargaison étaient perdus.
(3) Toutes les estimations effectuées sur les grands marchés d’assurance aboutissent à un taux de 5 à 6 % des primes encaissées en assurance de dommages et en assurance de personne non vie.
(4) Alors que l’on relève par exemple dans le programme d’éducation civique un thème consacré aux « grandes étapes du parcours d’une loi dans la République française ».
(5) En particulier en présence de fraudeurs agissant en bandes organisées s’attaquant à plusieurs organismes.
(6) Délégation nationale à la lutte contre la fraude aux finances publiques, dont le périmètre couvre les organismes tels que l’URSSAF, la CAF, la CNAM, la CNAV…