Responsabilité d’un expert automobile à l’égard du réparateur non agréé – CASS. CIV. 2ème, 2 février 2017, N°16-13.505

Quelle responsabilité d’un expert automobile à l’égard du réparateur non agréé ? Bertrand Néraudau commente dans la revue AJ Contrats n° 5 (mai 2017, p.227) la récente décision de la cour de Cassation (2ème Civ., 2 février 2017, n° 16-13.505, F-D Fondement législatif : code de la route, article 326-4 : Code civil, art. 1240, anc. art. 1382).

A retenir : Un expert automobile peut, pour déterminer le coût des réparations d’un véhicule sinistré, fixer un tarif horaire applicable à partir des prix pratiqués par les professionnels de la région, parmi lesquels figurent des réparateurs agréés et non-agréés par la compagnie d’assurance mandante, cette méthode n’étant pas incompatible avec le principe de liberté des prix et de la concurrence.

Solution de l’arrêt

Les faits de l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt résultent d’une situation à l’origine somme toute assez courante. En effet, à la suite de la prise en charge par un réparateur non agréé de plusieurs véhicules sinistrés, un cabinet d’expertise a été mandaté par les compagnies d’assurances afin d’évaluer le coût des réparations. Pour ce faire, l’expert a déterminé un tarif horaire applicable grâce à une comparaison entre les prix pratiqués par les professionnels de la région et du prix moyen de l’heure de main d’œuvre en carrosserie automobile relevé par l’INSEE, de sorte que l’expert a évalué le coût de la réparation en retenant un tarif horaire inférieur à celui appliqué par le garagiste. Ainsi, alors que bien souvent c’est l’assuré qui agit à l’encontre de son assureur pour contester le coût de la réparation retenue, en l’espèce c’est le réparateur qui agissait contre le cabinet d’expertise, auteur selon lui d’un comportement fautif dans la conduite de sa mission. En effet, le garagiste avait renoncé, pour conserver sa clientèle, à agir à l’encontre de ses clients (la décision ne précise pas s’il avait accepté une diminution de ses tarifs ou si les assurés avaient refusé de régler le surcoût d’un devis accepté), de sorte qu’il considérait avoir subi un préjudice en raison du refus de l’assureur de prendre en charge son tarif ainsi qu’une atteinte à son image à l’égard de ses clients. Le pourvoi formé par le réparateur est rejeté :

si le réparateur fixe librement ses prix, il appartient à l’expert de se prononcer sur le tarif horaire applicable sans être tenu d’entériner les devis et factures présentés par le réparateur, et que, lorsque l’expertise a lieu dans un garage non agréé, il peut, pour faire jouer la concurrence, se baser sur les prix publics pratiqués par les professionnels voisins, et ayant relevé qu’en l’espèce, l’expert avait calculé le montant horaire de la main-d’œuvre à partir des prix pratiqués par les professionnels de la région.

Observations : A l’appui de son pourvoi, le réparateur non agréé soulevait deux arguments destinés à contester la possibilité, pour l’expert automobile, de retenir un tarif horaire applicable en fonction de ceux pratiqués par les professionnels voisins, au regard du principe de la liberté des prix et de la concurrence et de celui de la liberté de choix de l’assuré.

La liberté des prix du réparateur

Pour tenter d’engager la responsabilité délictuelle du cabinet d’expertise, le réparateur considérait que la comparaison des tarifs effectuée par ses soins ne respectait pas le principe de la liberté des prix et de la concurrence édicté aux articles L. 410-2 et suivants du code de commerce, en ce qu’elle ne résultait pas d’une appréciation objective. La mission de l’expert, telle que définie par l’article 326-4 I 1° du code de la route, lui impose pourtant d’établir le juste coût de la réparation du véhicule de l’assuré et, pour ce faire, il a la possibilité d’estimer le tarif horaire applicable (comme le prévoit ainsi le code de déontologie de la Fédération internationale des experts en automobile). Par ailleurs, la formulation du pourvoi n’est pas anodine car elle reprend celle utilisée par l’ancien Conseil de la Concurrence dans l’un de ses avis (Avis n° 98-A-15 du 3 novembre 1998 relatif à une demande d’avis présentée par le Conseil national des professions de l’automobile sur les conventions d’agrément entre assureurs et réparateurs automobiles et certaines pratiques observées sur le marché de la réparation collision). Tout en reconnaissant que les experts étaient parfois conduits à refuser la prise en charge des surcoûts résultant des tarifs à un réparateur non agréé par rapport aux tarifs des réparateurs agréés et qu’ainsi il pouvait exister une différence de situation entre les réparateurs selon qu’ils soient agréés ou non agréés, le Conseil indiquait que « celle-ci ne présente en elle-même aucun caractère anticoncurrentiel dès lors qu’elle est fondée sur une appréciation objective des offres respectives des réparateurs en compétition ». Ainsi, pour le réparateur – non agréé –, une telle appréciation ne pouvait résulter d’une comparaison du montant des taux horaires de professionnels comprenant les réparateurs agréés. Or, la Cour de Cassation confirme que l’expert a la possibilité de « faire jouer la concurrence [en] se bas[ant] sur les prix publics pratiqués par les professionnels voisins », ce qui ne serait pas incompatible avec le principe de liberté des prix.

La solution retenue paraît conforme à ce principe. En effet, les prix devant être librement déterminés par le jeu de la concurrence, il est toutefois nécessaire de maintenir un cadre favorisant une concurrence loyale et transparente et un bon fonctionnement du marché. Or, dans un marché tel que celui de la réparation automobile, les assurés n’ont que peu d’incitation à faire jouer la concurrence par les prix entre les réparateurs. Cela étant, la solution retenue donne à l’expert un rôle de régulateur des tarifs proposés par les réparateurs, ce, alors que son impartialité à l’égard de l’assureur est souvent remise en question par les tiers.

Par ailleurs, l’on peut s’interroger sur les conséquences à venir d’une telle stimulation de la concurrence par les prix sur le marché de la réparation. Si l’unicité des prix peut ici être considérée comme « la conséquence du bon fonctionnement des mécanismes de formation des prix résultant notamment de l’abondance de l’offre et d’une parfaite information des demandeurs » (avis n° 98-A-15, préc.), des inquiétudes peuvent être formulées au regard d’une inévitable baisse de la qualité de la réparation lorsque les assureurs négocient avec des réparateurs agréés des taux horaires très bas. En ce sens, la comparaison effectuée par l’expert sur la base des seuls tarifs pratiqués dans la région pourrait être remise en cause, celle-ci ne prenant en considération aucun critère qualitatif, de sorte que les critères retenus ne seraient pas objectifs.

Le libre choix du réparateur par l’assuré

Le réparateur soutenait également que l’information donnée à l’assuré quant à l’estimation du coût des réparations – inférieur au tarif proposé par ses soins – était une atteinte fautive à son image, le risque pour l’assuré d’avoir à conserver à sa charge le surcoût étant de nature à affecter sa liberté de choix et à le dissuader de l’exercer en faveur du garagiste non agréé. Dès 2008, en effet, la charte « Relation réparateur d’automobile- assureur » du 14 mai 2008 érigeait le libre choix de l’assuré en « principe essentiel de la relation entre les assureurs, les assurés et les réparateurs ». C’est finalement depuis la loi n°2014-344 du 14 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, que le libre choix du réparateur a trouvé son ancrage législatif avec l’article L.211-5-1 du code des assurances. Toutefois, on peut douter de la portée exacte de cette disposition, qui se contente de prévoir une obligation d’information à la charge de l’assureur sans pour autant déterminer les limites et garanties de cette liberté de choix.

Si la Cour de cassation n’a pas retenu la thèse du réparateur, on rappellera que cette loi n’était pas applicable aux faits de l’espèce, antérieurs à son entrée en vigueur. Toutefois, on peut se demander si la solution aurait été différente à l’aune de l’obligation d’information de la liberté de choix. Il est probable que non. En effet, on voit mal de quelle manière le réparateur aurait pu invoquer une disposition édictée en faveur de l’assuré dans le cadre d’un litige impliquant un réparateur et un expert. En revanche, la solution de la Cour de cassation aurait peut-être mérité davantage d’analyse si le contentieux concernait un assuré, celui-ci considérant à l’encontre de son assureur que l’estimation de l’expert le privait d’exercer sa liberté de choix en l’incitant à se tourner vers un réparateur agréé.

Bertrand NÉRAUDAU, avocat à la Cour