Lutte contre la fraude à l’assurance : les fraudeurs sont-ils tous malhonnêtes ?

Comprendre la fraude à l’assurance

A priori, il n’y a pas de doute, celui qui se fait prendre en train de chercher à obtenir davantage que ce qui lui est dû au titre d’un contrat d’assurance viole une règle de comportement social et ne saurait être regardé comme un honnête homme.

Cependant, l’ignorance des assurés face à la complexité et à la technicité de l’assurance permet d’expliquer la relation parfois ambiguë que les assureurs entretiennent avec leurs clients.

L’épaisseur des contrats, leur caractère obscur, voire abscons, les méthodes de vente, les messages publicitaires, les contrats d’assurance-vie non réclamés pour lesquels les assureurs rechignent à rechercher les bénéficiaires sont autant de paramètres qui viennent alimenter la mauvaise réputation de l’assureur, dont le Grand Robert de la langue française propose en troisième sens… « voleur » …

Entre l’assuré qui exagère sa réclamation avec la plus parfaite mauvaise foi et celui qui est d’une honnêteté exemplaire, la frontière n’est pas toujours facile à tracer.

La mise en place d’une politique de lutte contre la fraude par une société d’assurance1 requiert la connaissance transversale du phénomène complexe que l’on souhaite réduire ².


On limitera le périmètre de cette étude aux organismes d’assurance privés opérant en France qui se trouvent rassemblés dans trois familles, toutes trois soumises au contrôle de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de résolution) : les sociétés d’assurance, les mutuelles et les institutions de prévoyance. Certaines considérations sont transposables aux problématiques de fraude à l’assurance dans les organismes d’assurance publics (CNAM, CNAV, et le cas échéant à d’autres secteurs de l’économie.

2 Même avec le plus grand optimisme et en déployant d’importants moyens, l’objectif d’un assureur ne peut être que de réduire le phénomène de fraude, son éradication n’étant qu’utopie. En effet, la fraude est aussi ancienne que l’assurance et en même temps que l’on trouve les premières traces d’assurance dans l’histoire, on trouve des témoignages de fraude. A croire que tout le monde ne résiste pas à la tentation de trahir la confiance qui lui est faite…


Cette nécessaire phase de compréhension passe par l’analyse de la relation qu’entretiennent assureurs et assurés, au cœur de laquelle se trouve la technique d’assurance.

Appréhendée de façons diverses, cette relation donne lieu à de multiples comportements frauduleux émanant de diverses catégories de fraudeurs dont les motivations sont variées, ce qui nécessite la mise en place par les organismes d’assurance d’une politique de lutte déclinée en 3 axes consacrés à la prévention, la dissuasion et à la sanction.

La complexité de la relation assureur-assuré

Après avoir exposé les spécificités de l’activité d’assurance, on verra celles de la relation assureur/assuré.

1. L’assurance

Au moins quatre caractéristiques sont spécifiques à l’assurance, rendant ce secteur d’activité difficilement comparable à d’autres, également confrontés à des comportements frauduleux.

1.1 . L’assuré paye avant la réalisation (ou non) de la prestation

Par le contrat d’assurance, les parties échangent une prestation certaine et immédiate (la prime payée par l’assuré) et une prestation aléatoire et donc future (ou inexistante).

Cette séquence inverse du cycle économique classique 3 oblige l’assureur à fixer le montant de sa prestation alors qu’elle ne surviendra que plus tard ou jamais.

1.2. L’assuré a le plus souvent intérêt à ce que l’assureur n’ intervienne pas

Tout est dit dans la formule consistant à préciser que l’assuré se garantit contre la survenance d’un élément aléatoire. Nul n’a intérêt à ce que l’assureur mobilise sa garantie, cela supposerait qu’il est arrivé un plus ou moins grand malheur.


[3] D’où sa désignation par « inversion du cycle de production » dans le vocabulaire économique. Par nature, seules les sociétés d’assurance et les caisses de retraite fonctionnent ainsi, d’autres secteurs d’activité empruntent parfois des schémas qui s’en rapprochent, notamment en proposant des cartes prépayées qui ne seront pas toujours utilisées, ou pas en totalité.


On recense trois exceptions à cette constatation, une majeure et deux détails :

– La couverture du risque de survie à une date donnée, c’est le principe des contrats visant à compenser la baisse des revenus après le départ à la retraite, par exemple en transformant à cette date en rente le capital accumulé jusqu’alors.

A noter que les contrats d’assurance dit mixtes associent à la garantie en cas de survie une garantie en cas de décès qui rend alors sûre la prestation de l’assureur, l’aléa reposant sur la date de règlement et la personne qui reçoit les fonds 4

– La garantie natalité incluse dans certains contrats de prévoyance ou de couverture complémentaire santé prévoit le versement d’un capital en cas de naissance d’un enfant.

  Le montant de la prestation est en général symbolique et ne constitue qu’un accessoire de la garantie principale du contrat.

– La garantie nuptialité prévoit, quant à elle, le versement d’un capital en cas de mariage de l’assuré peut-être avec l’espoir que le nouveau conjoint devienne à son tour assuré…

1.3. L’importance de la bonne foi de l’assuré

L’assureur est traditionnellement et juridiquement regardé comme la partie forte dans la relation avec ses assurés, il détient le savoir, l’argent et le temps.

Cependant, il convient de constater qu’aux deux moments les plus importants dans sa relation avec ses assurés, l’assureur prend des décisions importantes sur la base des déclarations de l’assuré qui sont tenues pour sincères.

– Lors de la souscription du contrat, tout d’abord, l’assureur recueille des réponses ou des observations de l’assuré (ou du souscripteur) sur la base desquelles sont prises des décisions déterminantes relatives :

o Au fait d’accorder ou non sa garantie ;

o A la fixation des conditions tarifaires ;

o A la détermination des conditions de garantie.

En cas de déclarations mensongères, l’équilibre du portefeuille de l’assureur est compromis et charge à l’assureur de démontrer a posteriori le mensonge portant sur les risques à couvrir.

 – Il en va de même lors de la déclaration du sinistre, l’assureur s’en tient aux affirmations de l’assuré qui sont vraies jusqu’à l’éventuelle preuve du contraire.


[4] C’est la réponse de la Chambre Mixte de la Cour de cassation a qui avait été posée la question de savoir si les contrats mixtes ressortaient de l’assurance ou de la capitalisation. Par quatre arrêts rendus le 23 novembre 2004, la Haute juridiction retient le caractère aléatoire de la prestation dont on ne sait ni à qui ni quand elle sera versée.


La présomption de bonne foi — et d’innocence — qui protège l’assuré met la charge de la preuve d’un éventuel manquement sur l’assureur, que la difficulté d’obtenir les éléments de preuve rendent ainsi vulnérable en cas de déloyauté de l’assuré.

1.4. Complexité et pluridisciplinarité de la technique d’assurance

La transgression d’une règle simple est plus aisée à identifier et sanctionner que celle d’un mécanisme plus complexe. Or, tant pour les assurés que pour les collaborateurs des sociétés d’assurance, la maîtrise du fonctionnement de l’assurance passe par la compréhension de règles diverses et complexes.

En effet, la technique d’assurance emprunte ses règles à trois sciences distinctes :

Les mathématiques . le principe de base de l’assurance est la mutualisation d’un ensemble de risques suffisamment considérable pour que puisse s’observer les effets de la Loi des grands nombres56