Effets de la résiliation d’un contrat et cause d’exclusion de garantie : une double sanctions purement disciplinaire ? (Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 16-18.188) – AJ. 2018.131

Arrêt rendu par Cour de cassation

3e civ. 14-12-2017 n° 16-18.188 (F-D)

L’arrêt rendu le 14 décembre 2017 par la Cour de cassation est l’occasion de rappeler certaines évidences aussi bien en matière de techniques de cassation qu’en droit des contrats. Si le rappel est utile quant aux effets de la résiliation d’un contrat, l’arrêt a surtout un intérêt disciplinaire car il est probable que la cour d’appel de renvoi aboutisse au même résultat que celui de l’arrêt cassé. En l’occurrence, un maître d’ouvrage avait confié à son maître d’oeuvre d’exécution le suivi de la construction d’un ensemble immobilier à usage de bureaux. Le maître d’ouvrage devait par la suite alléguer un certain nombre de manquements contractuels et décidait finalement de résilier le contrat. En effet, le maître d’oeuvre, non content de cette résiliation injustifiée selon lui, devait la lui reprocher et solliciter le paiement intégral de ses honoraires. Le juge de première instance tout comme la cour d’appel tombent littéralement dans le piège et condamnent le maître d’ouvrage à payer l’intégralité des honoraires dus au titre de l’exécution du contrat de maîtrise d’oeuvre, considérant que le maître d’oeuvre n’était pas fautif, et rejettent donc les demandes formées à l’encontre de l’assureur de ce dernier. La troisième chambre civile casse l’arrêt d’appel, tout d’abord au visa de l’article L. 113-1 du code des assurances, en considérant qu’en s’abstenant de « Rechercher, comme cela lui était demandé, si le fait d’exclure de la garantie les litiges relatifs aux honoraires et au retard, n’avait pas pour effet de vider de toute substance la garantie offerte par la compagnie [d’assurances], la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Par ailleurs, sur le fondement de l’ancien article 1134 du code civil (art. 1103 nouv.), la troisième chambre rappelle également que : « Une partie ne peut pas prétendre à l’exécution d’un contrat résilié, mais seulement à des dommages-intérêts compensant le préjudice causé par la résiliation ».

Texte(s) appliqué(s) :

  • Code des assurances – art. L. 113-1
  • Code civil – art. 1103 nouv. – art. 1134 anc.

Les effets d’une résiliation injustifiée.

Selon l’expression consacrée, la résiliation d’un contrat pour défaut d’exécution s’effectue aux risques et périls du co-contractant, la résiliation ne pouvant pas en elle-même être remise en cause par le juge mais seulement donner lieu à dommages-intérêts pour la partie victime de la résiliation injustifiée. En l’espèce, la cour d’appel s’était fourvoyée en sanctionnant une telle résiliation tout en lui donnant les effets de l’exécution forcée du contrat résilié, ce qui allait contre toute logique : si le juge ne peut remettre en cause la résiliation, le contrat n’a donc plus d’existence et celui-ci ne peut en prononcer l’exécution forcée en condamnant l’auteur de la résiliation à en payer le prix. Le rappel de la Cour de cassation est plus que bienvenu car la faute était sérieuse et la règle pourtant élémentaire. En effet, le maître d’ouvrage ne pouvait prétendre à l’exécution d’un contrat résilié mais seulement à des dommages-intérêts pour compenser le préjudice causé par la résiliation, c’est-à-dire le gain dont il a été privé. En l’espèce, la cour d’appel de renvoi, invitée par le maître d’oeuvre, pourra aisément condamner le maître d’ouvrage au paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice subi par son co-contractant, à savoir le gain manqué correspondant, le cas échéant, au montant de l’intégralité des honoraires dus au titre du contrat. Elle évitera ainsi une nouvelle censure de la Cour de cassation.

Le défaut de recherche quant aux effets de la clause d’exclusion.

Parmi les cas d’ouverture à cassation, figure l’insuffisance de recherche des éléments de fait qui justifient l’application de la loi. La deuxième censure de la Cour de cassation porte donc sur le fait que la cour d’appel n’avait pas recherché, « comme il le lui était demandé, si le fait d’exclure de la garantie les litiges relatifs aux honoraires et au retard n’avait pas pour effet de vider de toute substance la garantie offerte par la compagnie [d’assurances] ». En effet, le maître d’ouvrage, cherchant à obtenir la condamnation de l’assureur de son maître d’oeuvre, avait demandé à la cour d’appel de statuer sur la clause d’exclusion de garantie qui figurait au contrat d’assurance. Or, celle-ci avait retenu que « dès lors que la demande principale formée à l’encontre [du maître d’oeuvre] a[vait] été rejetée, l’appel en garantie formé par cette société, de même que la demande [du maître d’ouvrage] à l’égard de [l’assureur du maître d’oeuvre], dev[enaient] sans objet ». Ainsi, pour exclure la garantie de l’assureur, le juge d’appel avait précisé « qu’outre le fait que le contrat d’assurance souscrit par [le maître d’oeuvre] […] exclu[ait] expressément de sa garantie les litiges relatifs aux honoraires et au retard, ce qui [était] exactement le cas en l’espèce, il conv[enait] de déduire que l’action formée à son encontre à titre reconventionnel par [le maître d’ouvrage] [était] infondée ; que [le maître d’ouvrage] sera[it] donc débouté de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la compagnie d’assurances […] ». Cette motivation n’a pas satisfait la Cour de cassation, qui a considéré que la recherche demandée aurait dû être effectuée. Cette censure paraît critiquable dans la mesure où le juge aurait en tout état de cause rejeté la demande formée à l’encontre de l’assureur du maître d’oeuvre. C’est imposer au juge de répondre à tous les arguments des parties même s’ils ne sont que la conséquence directe d’un raisonnement rejeté ab initio. On peut toutefois supposer que la cour d’appel aurait pu s’éviter les foudres de la Haute juridiction si elle s’était abstenue de relever l’existence d’une clause d’exclusion « expresse », la validant ainsi implicitement sans pour autant vérifier si elle ne vidait pas la garantie de sa substance. En d’autres termes, le juge en a soit trop dit, soit pas assez. Quoi qu’il en soit, il appartiendra visiblement à la cour d’appel de renvoi de répondre à la question tendant à remettre en cause une clause excluant les litiges relatifs aux honoraires et au retard en ce qu’elle vide la garantie de sa substance. Difficile de faire des pronostics sans avoir la possibilité d’examiner la clause litigieuse, mais rappelons qu’une clause d’exclusion ne peut « qu’être formelle et limitée et ne saurait aboutir, sans retirer son objet au contrat d’assurance, à annuler dans sa totalité la garantie stipulée » (Civ. 1re, 23 juin 1987, n° 85-17.010, Bull. civ. I, n° 202). En ce sens, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a consacré la jurisprudence dite Chronopost (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632, Bull. civ. IV, n° 115 ; D. 1997. 121 , note A. Sériaux ; ibid. 145, chron. C. Larroumet ; ibid. 175, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre ; ibid. 1998. 213, obs. N. Molfessis ; RTD com. 1997. 319, obs. B. Bouloc ) en prévoyant à l’article 1170 nouveau du code civil – non applicable au litige – que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». S’agissant de clauses d’exclusion, la Cour de cassation a validé la garantie qui exclut de son champ d’application le remboursement des honoraires versés (Civ. 2e, 30 avr. 2014, n° 13-16.557, RGDA 2014. 355, note L. Mayaux) ou la clause qui exclut de la garantie de l’assureur les conséquences pécuniaires résultant d’un retard (Civ. 2e, 3 juill. 2014, n° 13-20.572). En tout état de cause, la cour d’appel de renvoi, quelle que soit son analyse de la clause litigieuse, pourra tout aussi bien rejeter la garantie de l’assureur, remettant les parties dans la même situation qu’après l’arrêt cassé. D’où l’on apprend qu’une cassation n’est vraiment pas une fin en soi.

À retenir

Un contrat résilié pour inexécution ne peut donner lieu à la condamnation, à l’encontre de la partie qui a résilié le contrat à tort, au paiement de l’intégralité des honoraires de son co-contractant mais seulement à des dommages-intérêts compensant le préjudice subi. Par ailleurs, le juge ne peut constater l’existence d’une clause d’exclusion sans répondre à la demande d’une partie visant à déterminer si ladite clause vidait de sa substance la garantie.

Bertrand Néraudau et Anne-Claire Pichereau, Avocats à la cour