Fausse déclaration du risque – L’argue de l’assurance N°7520 – 1er sept 2017
Il n’est pas toujours aisé d’opérer une distinction entre les règles proportionnelles de primes et de capitaux. En effet, la première sanctionne une fausse déclaration non intentionnelle de risques et la deuxième une sous-assurance ; la frontière entre les deux n’est pas tout à fait étanche, qu’en est-il par exemple d’une sous-assurance consécutive à une fausse déclaration non intentionnelle de risques ?
Par un arrêt du 2 mars 2017 (civ. 2ème, 2 mars 2017, pourvoi n° 15-27831) la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rendre un arrêt aux termes duquel elle a validé l’application des deux sanctions qui avaient été prononcées par un assureur à l’occasion d’un même sinistre. Après avoir brièvement rappelé les faits de l’espèce, nous formulerons quelques observations sur ces deux mécanismes.
Le groupe Bernardaud est un fabriquant français d’articles de porcelaine qui a souscrit pour son compte et celui de sa filiale, un contrat d’assurance « multirisque industrielle » auprès des sociétés d’assurance Albingia et Tokio Marine Kil Insurance Limited. Un premier incendie est survenu le 23 octobre 2011 sur le site de Limoges, suivi d’un second incendie dans l’atelier d’un autre bâtiment le 23 février 2012.
I – Théorie
Tant à la prise d’effet qu’en cours de contrat, l’assureur doit disposer des informations nécessaires pour connaître le risque qu’il garantit. Si à l’occasion d’un sinistre l’assureur s’aperçoit qu’il a, du fait de l’assuré, sous-évalué le risque et sollicité le paiement d’une prime insuffisante, il semble équitable que l’indemnisation soit réduite, de sorte que l’assuré reçoive une indemnité en proportion de la prime qu’il a payée et que la mutualité ne soit pas appelée à contribution pour un montant excédant ce qui était envisageable.
Les déclarations erronées peuvent avoir une incidence sur le taux de la prime que l’assureur aurait demandée, par exemple si des antécédents d’assurance ne lui avaient pas été dissimulés, ou sur l’assiette de la prime, par exemple dans l’hypothèse où l’assurance porte sur un stock de marchandises.
La sanction applicable en cas de fausse déclaration portant sur le taux de prime est la réduction proportionnelle de l’indemnité prévue à l’article L.113-9 du Code des assurances.
En en cas de fausse déclaration de l’assiette de la prime, c’est la règle proportionnelle de capitaux envisagée par les dispositions de l’article L.121-5 du même code.
II – Difficultés pratiques
La première difficulté a surgi parce que deux sinistres sont survenus coup sur coup et que postérieurement au premier, l’assureur a pu constater que l’assuré ne s’était pas conformé aux prescriptions du contrat qui lui faisaient l’obligation de faire vérifier chaque année les installations électriques et de communiquer les rapports à l’assureur.
L’assuré soutenait que l’assureur avait renoncé à se prévaloir de ce manquement qu’il avait constaté, sans réaction et tout en continuant à percevoir les primes ; la position de l’assureur se fondait sur le non-respect des obligations contractuelles par l’assuré.
La deuxième Chambre civile de la cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’assuré et validé la solution de la Cour d’appel de Limoges qu’on ne peut qu’approuver tant elle est techniquement parfaitement justifiée au regard des règles essentielles de la mutualité : l’étendue de la garantie et donc de l’indemnisation est fonction du montant de la prime.
On peut objecter que cette solution encouragerait la négligence de l’assureur qui aurait tout intérêt à ne pas agir après un premier sinistre, se réservant ainsi la possibilité d’opposer à son client la règle proportionnelle de prime lors d’un nouveau sinistre, toutefois si tant est qu’une telle idée traverse l’esprit d’un assureur, l’assuré doit pouvoir compter sur ses conseils (courtier, expert…) pour l’inciter à procéder aux déclarations modificatives à même de le mettre à l’abri d’une réduction d’indemnité lors d’un éventuel futur sinistre.
On peut ajouter qu’il importe peu que la fausse déclaration de risque ait eu une incidence sur la réalisation du sinistre, toutefois en l’occurrence, la fausse déclaration porte sur un manquement à des obligations de vérification des installations électriques et il ressort de l’arrêt qu’au moins le premier sinistre a été provoqué par un court-circuit. Selon la rédaction des clauses du contrat, l’assureur aurait peut-être pu en faire une application plus sévère en invoquant une exclusion ou une condition de garantie…
La seconde difficulté relevait de l’application de la réduction proportionnelle de l’indemnité au titre de la garantie des pertes d’exploitation, le désaccord entre l’assuré et l’assureur portait sur le défaut de déclaration de la marge brute d’exploitation servant d’assiette à la prime due.
La détermination du montant des capitaux repose sur une marge brute annuelle qui correspond « au montant de la marge brute annuelle qui aurait été atteinte pendant la période d’un an commençant le jour du sinistre, si celui ci ne s’était pas produit » (Lambert-Faivre Y., Risques et assurances des Entreprises, 3ème édition, p. 238). La garantie pertes d’exploitation a pour objet « de remettre l’entreprise assurée dans la situation financière qui aurait été la sienne à un moment donné, en l’absence de sinistre » (Bigot J., Kullmann J., Mayaux L., Traité de droit des assurances, t. 5 Les assurances de dommages, LGDJ, 2017 n°1044).
Les assureurs prévoient souvent une clause de dérogation conditionnelle à l’application de la règle proportionnelle de capitaux. Quand les conditions prévues par la clause sont respectées, la règle proportionnelle de capitaux est écartée même en cas de sous-assurance.
En l’espèce la garantie pertes d’exploitation comportait une telle clause mais l’expertise amiable a révélé que la marge brute déclarée par l’assurée, applicable aux deux sinistres, était nettement inférieure à la marge brute effective. En effet la déclaration de marge brute faite par l’assuré dans le dernier avenant applicable aux deux sinistres mentionnait une marge brute de 18 921 850 € alors qu’elle s’élevait en réalité à 22 798 530,40 €. Les assureurs opposent à la société l’inexactitude de la déclaration pour écarter l’application de la clause de dérogation à la règle proportionnelle de capitaux. En effet la clause de dérogation est claire et elle prévoit « qu’en cas d’inexactitude dans la déclaration de la marge assurée, la règle proportionnelle de capitaux prévue à l’article L.125-5 du Code des assurances redevient strictement applicable ». L’application de la règle proportionnelle de capitaux est justifiée et a pour conséquence de réduire le montant de l’indemnité due par l’assureur et cela en proportion du rapport existant entre les valeurs inexactes retenues et celles qui auraient dû initialement être retenues.
Bertrand NERAUDAU, Avocat au Barreau de Paris