Une demande de réparation en dehors de la surface

Arrêt rendu par Cour de cassation, 2e civ.

14-06-2018, n° 17-20.046

Sommaire

L’arrêt rendu le 14 juin 2018 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation met fin à une affaire des plus insolites. Un joueur avait validé une grille du jeu « Loto Foot » en pariant sur les résultats de quatorze matchs de football. Son pronostic s’était vérifié pour treize d’entre eux mais pas pour le quatorzième. Alors qu’il avait parié sur un match nul, le score était d’un but à zéro. Or le but marqué avait été inscrit par un joueur en position de hors-jeu, élément qui avait échappé à l’arbitre. Prétendant subir un préjudice, le parieur malheureux a assigné en réparation le club de foot et le footballeur ayant marqué le but. La deuxième chambre civile rejette le pourvoi en ces termes :

« […] seul un fait ayant pour objet de porter sciemment atteinte à l’aléa inhérent au pari sportif est de nature à engager la responsabilité d’un joueur et, le cas échéant, de son club, à l’égard d’un parieur ;
Qu’ayant exactement retenu que, même à supposer que le [footballeur] ait été en position de hors-jeu lorsqu’il a inscrit le but litigieux, cette transgression de la règle sportive ne constituait pas un fait de nature à engager sa responsabilité, ou celle de son club, envers un parieur, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

Texte(s) appliqué(s)

  • Code civil – art. 1382 et 1384 anc., art. 1240 et 1242 nouv.

Rejet de l’action du parieur fondée sur la responsabilité délictuelle du footballeur

La faute sportive ne doit pas être confondue avec la faute civile. Ainsi, le footballeur qui commet un manquement sportif n’engage pas sa responsabilité civile délictuelle lorsque n’est pas établie « une ardeur intentionnellement intempestive », ni un « comportement anormal » (Civ. 2e, 15 mai 1972, n° 70-14.511, Bull. civ. II, n° 149 ; D. 1972. 606). En outre, les arbitrages organisés sur le terrain par les organisations sportives n’ont pas pour effet de priver le juge civil de sa liberté d’apprécier si le comportement de l’un des joueurs a constitué une infraction aux règles du jeu de nature à engager la responsabilité délictuelle de celui-ci (Civ. 2e, 10 juin 2004, n° 02-18.649, Bull. civ. II, n° 296 ; D. 2004. 1937 ; RTD civ. 2005. 137, obs. P. Jourdain ).

L’arrêt du 14 juin 2018 ne dépare pas ce tableau jurisprudentiel en affirmant que seul le fait du footballeur ayant sciemment porté atteinte à l’aléa du pari sportif est de nature à engager sa responsabilité civile à l’égard du parieur. Contrairement à ce que soutient la première branche du moyen, la faute sportive seule ne constitue pas une faute civile. En l’espèce, le parieur n’a pas démontré que le footballeur avait agi dans l’intention de porter atteinte à l’aléa du pari. L’arrêt indique en outre que l’inscription d’un but en position de hors-jeu n’est pas en elle-même de nature à engager la responsabilité délictuelle du footballeur, bien qu’il s’agisse d’une « transgression de la règle sportive ».

La demande en réparation fondée sur les principes de la responsabilité civile délictuelle était téméraire et avait peu de chance d’aboutir. Le parieur aurait pu agir sur le terrain de la responsabilité civile contractuelle. Le contenu du contrat le liant à la Française des jeux l’en a sans doute dissuadé.

Absence d’action du parieur fondée sur le terrain de la responsabilité contractuelle – et pour cause.

Le « Loto Foot », que le parieur a validé, fait l’objet d’un règlement publié au Journal officiel (JO 27 août 2004, texte n° 6). La participation au jeu impliquait l’adhésion du parieur au règlement (V. art. 20) et faisait donc naître un contrat. Dans sa rédaction applicable à l’espèce, le règlement disposait en son article 13 que :

« 13.1. Seuls les résultats sportifs publiés par la Française des jeux au Journal officiel sont réputés exacts et servent à déterminer les gains et nombre de gagnants. […] ;
13.4. Si le résultat publié est erroné à la suite d’une erreur commise par la source utilisée comme référence par la Française des jeux, il sera procédé à une modification de ce résultat dès la prise en connaissance de cette erreur. En conséquence :
[…] Les joueurs ayant validé leurs prises de jeu en point de vente et dont le reçu était considéré perdant à tort pourront, s’ils ont conservé leur reçu et uniquement dans ce cas, se faire payer leur gain après rectification du résultat. »

Seuls les résultats des matchs publiés au Journal officiel font foi. Ces résultats ne proviennent pas directement de la Française des jeux mais des instances sportives qui confirment officiellement les résultats de chaque match. La fiabilité des résultats relayés par la Française des jeux dépend donc de ses sources. En cas d’erreur, les joueurs considérés à tort comme perdants peuvent se faire payer leur gain une fois la rectification actée.

Si les instances officielles du football avaient refusé l’inscription du but litigieux et si la Française des jeux l’avait tout de même retenue, il ne fait pas de doute que notre parieur aurait pu se prévaloir de l’article 13.4 du règlement du Loto sportif pour obtenir l’intégralité des gains lui étant dus au titre des quatorze bons pronostics – mais tel n’est pas le cas en l’espèce.

Certes, l’article 13.4 du règlement peut faire l’objet de plusieurs interprétations. Que faut-il comprendre par « erreur commise par la source utilisée » ? De quelle source s’agit-il ? Sans doute des autorités sportives qui se fondent sur l’arbitrage de chaque match. Mais alors, que faut-il comprendre par « erreur » ? L’arbitrage n’est pas révisable, même lorsqu’il passe à côté d’une faute grossière ou flagrante. Dans de telles conditions, où peut donc bien se loger l’erreur ?

L’article 13.4 du règlement pourrait être lu autrement. Faut-il en effet comprendre qu’il revient à la Française des jeux de « rectifier » elle-même un arbitrage ayant pris en compte un but inscrit en position de hors-jeu ? Cette dernière interprétation aurait pu intéresser notre parieur, puisqu’elle revient à faire peser sur la Française des jeux l’obligation de vérifier la justesse des résultats sportifs communiqués par ses sources et, le cas échéant, l’obligation de les rectifier. Cette dernière hypothèse doit, à notre avis, être écartée. En effet, comment la Française des jeux pourrait-elle juger de la qualité d’un arbitrage ? Comment justifierait-elle son autorité et sa compétence en la matière ? Ce serait en outre donner à la Française des jeux le droit de modifier les résultats sportifs à sa guise, voire de façon arbitraire… Une telle lecture de l’article 13.4 est impossible.

L’action du parieur fondée sur le terrain de la responsabilité contractuelle n’avait in fine aucune chance d’aboutir. Le règlement de la Française des jeux était, en somme, suffisamment bien conçu pour décourager de telles prétentions… La témérité du joueur a trouvé sa limite !

À retenir

En matière de paris sportifs, seul le fait du footballeur ayant pour objet de porter sciemment atteinte à l’aléa du jeu est de nature à engager sa responsabilité délictuelle. En revanche, lorsque le résultat est erroné à la suite d’une erreur commise par les instances sportives, la Française des jeux doit contractuellement le modifier dès qu’elle a connaissance de cette erreur. Les joueurs ayant été à tort considérés comme perdants peuvent, s’ils présentent leur reçu gagnant, obtenir les gains qui leur sont dus.

Bertrand Néraudau, Avocat à la Cour
Pierre Guillot, Doctorant en droit privé