La preuve de la mauvaise foi de l’assuré comme condition de mise en œuvre de la déchéance de garantie (Civ. 2e, 5 juillet 2018, n° 17-20.488) – AJ 2018.425

Arrêt rendu par Cour de cassation, 2e civ.

05-07-2018, n° 17-20.488 (FS-P+R+I)

Sommaire

L’arrêt du 5 juillet 2018 revient sur le principe de la déchéance de garantie et ses conditions de mise en oeuvre. La solution qu’il retient peut surprendre. L’affaire est simple. Un assuré déclare le vol de sa voiture auprès de son assureur et précise que son kilométrage au moment du sinistre est « d’environ 80 000 kilomètres ». Une facture d’entretien établie un mois plus tôt indique pourtant un kilométrage de 87 325 kilomètres. S’estimant victime d’une fausse déclaration de sinistre, l’assureur oppose donc à son assuré la clause de déchéance figurant au contrat et le déchoit de sa garantie. En cause d’appel, les juges estiment que l’assuré s’est effectivement rendu coupable d’une « fausse déclaration susceptible d’avoir une incidence sur les conséquences du sinistre ». Ils le déboutent par conséquent de ses prétentions. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en ces termes :

« En statuant ainsi, alors que l’assureur doit établir la mauvaise foi de l’assuré pour prétendre à l’application d’une clause prévoyant la déchéance de garantie en cas de fausse déclaration relative au sinistre, la cour d’appel a violé [l’article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016] ».
Cette même solution est reprise dans un autre arrêt rendu le même jour et dans des termes identiques pour une affaire semblable (Civ. 2e, 5 juill. 2018, n° 17-20.491).

Texte(s) appliqué(s)

  • Code civil – art. 1103 nouv. – art. 1134 anc.

La déchéance de garantie comme sanction contractuelle de la fausse déclaration de sinistre.

Alors que la loi précise les sanctions applicables en cas de fausse déclaration des risques (V. C. assur., art. L. 113-8 et L. 113-9), aucune disposition ne prévoit de façon générale la sanction de la fausse déclaration de sinistre. Cependant, le législateur reconnaît implicitement à l’assureur le droit d’inclure au contrat une clause de déchéance de garantie (V. C. assur., art. L. 112-4, al. 2 : « Les clauses de police édictant des nullités, des déchéances […] »). Cette possibilité a été également reconnue par la Cour de cassation (Civ. 1re, 2 juill. 1996, n° 94-15.294 : « Les parties peuvent librement stipuler, dans un contrat d’assurance, les clauses de déchéance qui ne sont pas interdites par la loi »). L’arrêt du 5 juillet 2018 s’insère naturellement dans cette perspective jurisprudentielle.

S’agissant d’une sanction contractuelle, l’absence au contrat d’une clause de déchéance empêche de sanctionner l’assuré en cas de fausse déclaration de sinistre. Il faut en outre que la clause soit valable, c’est-à-dire rédigée en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4, préc.), opposable à l’assuré et conforme à la réglementation relative à la lutte contre les clauses abusives.

Les conditions de mise en oeuvre de la clause de déchéance.

La validité d’une clause de déchéance est une chose, les conditions de sa mise en oeuvre en sont une autre. La déchéance étant une sanction purement contractuelle, ses modalités dépendent en principe de la rédaction même de la clause.

Or les assureurs sanctionnent en règle générale un comportement inadéquat de l’assuré au regard des obligations qui lui incombent à la suite d’un sinistre. Ce n’est donc pas systématiquement la mauvaise foi de l’assuré qui est visée par la clause.

C’est précisément sur ce point que la solution retenue par l’arrêt du 5 juillet 2018 peut surprendre. La Cour affirme, en effet, que « l’assureur doit établir la mauvaise foi de l’assuré » pour appliquer la clause de déchéance en cas de fausse déclaration de sinistre. Certes, l’assurance repose sur la confiance et l’on sait combien le contrat doit s’exécuter de « bonne foi » (M. Picard et A. Besson, Traité général des assurances terrestres, t. 1, 5e éd., LGDJ, 1985, n° 42). Néanmoins, ne devrait-on pas toujours s’en remettre à la loi des parties en matière de déchéance de garantie ? La Cour semble ici imposer de façon générale une condition de mise en oeuvre aux déchéances de garantie – la preuve de la mauvaise foi de l’assuré -, rappelant en cela certaines dispositions spéciales du code des assurances en matière d’assurances maritimes (V. C. assur., art. L. 172-28, seul article qui érige la déchéance en sanction légale). La Cour de cassation semble vouloir limiter in fine la liberté contractuelle en conditionnant l’application de la clause de déchéance à un élément intentionnel. La clause de déchéance deviendrait la sanction de la seule mauvaise foi de l’assuré, prise indépendamment de ses conséquences financières pour l’assureur.

Il s’agirait d’une solution particulièrement sévère pour les compagnies d’assurances qui peinent souvent à démontrer la mauvaise foi de leur assuré. En l’espèce, une différence de kilométrage d’à peine 7 000 kilomètres suffit-elle à caractériser une quelconque mauvaise foi ? Celle-ci est d’autant plus difficile à établir que l’assuré a insisté sur l’imprécision de sa déclaration (« environ 80 000 kilomètres »).

Il faut, à notre avis, lire l’arrêt du 5 juillet 2018 autrement. La Cour s’est, en effet, prononcée au visa de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Cela peut sembler peu surprenant, s’agissant de la mise en oeuvre d’une sanction de nature contractuelle. Comment la Cour pourrait-elle cependant imposer au visa de cet article une nouvelle condition de mise en oeuvre aux clauses de déchéance ? Il nous semble plutôt que la solution retenue par la deuxième chambre civile découle entièrement de la rédaction de la clause de déchéance figurant au contrat de l’assuré. Celle-ci est ainsi rédigée : « Toute fausse déclaration sur la nature, les causes, les circonstances ainsi que les conséquences du sinistre ou toute utilisation de moyens frauduleux vous prive de tout droit à garantie et vous expose à des poursuites pénales ».

Cette clause peut poser quelques problèmes d’interprétation. Elle semble en effet ne sanctionner que les fausses déclarations faites de mauvaise foi – ce dont témoignent certainement les termes « moyens frauduleux » et « poursuites pénales » – rapprochant ainsi les modalités de la déchéance aux éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie. Selon cette lecture, la cour d’appel aurait effectivement dû vérifier que l’assureur apportait non seulement la preuve d’une fausse déclaration mais également celle de la mauvaise foi de l’assuré.

À retenir

Hormis quelques exceptions, la sanction des fausses déclarations de sinistre n’est pas prévue par la loi. Les parties peuvent néanmoins stipuler au contrat une clause de déchéance. Le cas échéant, il leur revient de préciser les conditions de sa mise en oeuvre. Cependant, la Cour de cassation semble ici subordonner l’application de la clause à la preuve par l’assureur de la mauvaise foi de l’assuré. Il reste à savoir s’il s’agit d’une solution de principe marquant un tournant jurisprudentiel ou simplement d’une solution motivée par la rédaction particulière de la clause du cas d’espèce.

Bertrand Néraudau, Avocat à la Cour
Pierre Guillot, Doctorant en droit privé